La bipolarité : le « Up » et le « Down »
La bipolarité : le « Up » et le « Down »
On évoque souvent les troubles de l’humeur de type bipolaire pour ces grands hommes que sont notamment Balzac, Baudelaire, Vincent Van Gogh, Hémingway, Churchill…
Y aurait-il donc un lien entre le génie, la créativité et la bipolarité ?
« La psychologie et la psychiatrie ont beaucoup réfléchi et écrit sur ce mystère » a répliqué Docteur Raja Labbane, chef de service de psychiatrie à l’hôpital Razi.
Outre les grands de ce monde, la bipolarité touche autour de 1% de la population quelque soient le milieu et la culture, une prévalence qui grimpe jusqu’à 13% si on considère toutes les formes atténuées de bipolarité, c’est pour cette raison qu’on parle de plus en plus de spectre bipolaire ».
Mais qu’est ce que les troubles bipolaires ?
« Psychose maniaco-dépressive, maladie maniaco-dépressive, les terminologies n’ont pas cessé de changer. C’est dans les années 70-80 qu’on a retenu le terme ‘bipolaire’ pour décrire cette maladie de l’humeur qui se caractérise par l’alternance d’états dépressifs et d’états d’exaltation appelés aussi accès maniaques ou manies.
Les accès dépressifs et maniaques sont séparés d’intervalles libres où l’humeur revient à la normale (normothymie) et le sujet retrouve son fonctionnement habituel.
Généralement, l’accès est soit dépressif, soit maniaque mais il peut être mixte. On parle dans ce cas d’états mixtes, tableau qui associe des symptômes dépressifs et des symptômes maniaques. Ces états mixtes sont importants à rechercher et à reconnaître car leur prise en charge est spécifique.
Par ailleurs, on distingue le trouble bipolaire de type I et le trouble bipolaire de type II. Le type I se caractérise par la survenue d’états dépressifs majeurs et d’états maniaques ou mixtes. Le type II se définit par la survenue d’états dépressifs majeurs et d’accès hypomaniaques, l’hypomanie étant une forme atténuée de manie. Le trouble bipolaire de type II est plus fréquent chez les femmes avec un sex ration de 2/1 et c’est un diagnostic difficile car il prête à confusion avec la dépression unipolaire ».
Qu’est ce que l’état maniaque ou manie ?
« La manie en grec veut dire folie. Le maniaque dont on parle n’est pas le maniaque qui est le terme employé dans le langage courant pour désigner une personne très ordonnée et méticuleuse. Pour les psys, l’ordre et la méticulosité rentrent plutôt dans le cadre de l’obsession.
La manie est, à l’opposé de la dépression, un état d’exaltation de l’humeur et une excitation psycho-motrice qui peut être extrême exposant le sujet à un certain nombre de risques.
Le maniaque, on le reconnaît à son débit verbal accéléré, son euphorie inhabituelle, son contact familier, son exubérance et son excentricité. Le maniaque a une labilité émotionnelle importante, il est irritable, pouvant devenir agressif et violent. Son humeur est labile, il passe facilement du rire aux larmes. Il apparaît très sociable mais exprime des idées de grandeur, de mégalomanie, d’ambitions démesurées, de projets grandioses. Il peut présenter des idées délirantes prophétiques, de missions à accomplir etc…
L’hyperactivité du maniaque est désordonnée et stérile et ses conduites aussi bien sur le plan social, financier (dilapide sa fortune, émet des chèques sans provisions) que professionnel (altercations, troubles caractériels, démissions intempestives) peuvent lui faire courir de gros risques. Il peut présenter une hypersexualité (instabilité dans les relations) avec comportement excessif de séduction qui peut être à l’origine d’infidélité et même de divorce ».
Quelle est la différence entre manie et hypomanie ?
« La forme atténuée ou modérée de la manie est l’hypomanie. L’hypomanie n’entraîne généralement pas des troubles du comportement préjudiciables. le fonctionnement social est préservé. La personne énergique peut être compétente et rentable au cours de l’épisode hypomaniaque ».
Y aurait-il des facteurs déclenchants du trouble bipolaire ?
« On n’identifie pas toujours de facteurs déclenchants aux phases dépressives ou maniaques. Les chocs émotionnels, les deuils, les maladies et les conflits affectifs sont considérés plutôt comme de simples catalyseurs chez des personnes qui, au départ, présentent cette prédisposition à la maladie. Le trouble bipolaire est une maladie à déterminisme génétique, où le facteur héréditaire est prépondérant ».
Quelle différence entre dépression unipolaire et dépression bipolaire ?
« Si la dépression bipolaire associe dépression et manie ou dépression et hypomanie, la dépression unipolaire est, pourrait-on dire ‘pure’, caractérisée par la survenue uniquement d’états dépressifs majeurs et récurrents sans autre perturbation de l’humeur.
Sur le plan clinique, on retrouve globalement les mêmes symptômes dépressifs mais il y a des spécificités cliniques et évolutives qui caractérisent la dépression bipolaire, qu’on appelle ‘les indices de bipolarité’ et qu’il convient de rechercher attentivement et scrupuleusement car le devenir du patient en dépend.
Dans la majorité des cas, les patients souffrant de trouble bipolaire ont présenté un ou plusieurs épisodes dépressifs avant que le diagnostic ne soit posé ».
Les indices de bipolarité
« Ils permettent de distinguer dépression unipolaire et dépression bipolaire :
Les dépressions bipolaires débutent plus tôt que les unipolaires, entre 15 et 25 ans. Un premier épisode dépressif majeur chez un jeune doit faire évoquer un mode d’entrée dans un trouble bipolaire. Les antécédents familiaux de troubles bipolaires ou de suicide, la récurrence des épisodes dépressifs, certains traits de caractère marqués par l’hyper-réactivité émotionnelle, les personnalités extraverties à le recherche constante de nouveautés, l’instabilité biographique, la survenue d’un accès dans le post-partum (dans les six mois après un accouchement) sont autant d’indices qui doivent orienter vers la bipolarité.
Dans la dépression bipolaire, le tableau clinique est généralement sévère avec des caractéristiques psychotiques (idées délirantes de culpabilité, d’indignité, d’incurabilité, mais aussi avec parfois des hallucinations). Le suicide est le risque majeur dans la dépression et particulièrement dans la dépression bipolaire ».
La dépression bipolaire n’est pas une dépression pure, pourquoi ?
« Elle s’associe toujours à des symptômes de la série maniaque ou hypomaniaque, que ce soit au cours de l’accès ou au décours et dans l’histoire évolutive des troubles de l’humeur. Ainsi, la présence d’antécédents d’hypomanie (passant souvent inaperçue car confondue avec un état normal de l’humeur où la personne est active et performante), d’états mixtes, de dépressions anxieuses et agitées, de dépressions caractérielles (avec irritabilité et colère) doivent permettre de redresser le diagnostic ».
Le diagnostic de trouble bipolaire serait-il difficile ?
« Paradoxalement oui. Bien que classés au 4ème rang des pathologies les plus invalidantes selon l’OMS, les troubles bipolaires sont encore mal diagnostiqués avec un retard diagnostic de 8 à 10 ans. Ce retard conduit souvent à une évolution chronique de la maladie ainsi qu’au développement de troubles associés, tant somatiques (troubles des conduites alimentaires notamment et leurs conséquences) que psychiatriques notamment les conduites addictives (alcool, drogues), les troubles anxieux et les troubles de la personnalité avec le risque de chômage et de surmortalité, réduisant ainsi l’espérance de vie des patients bipolaires de 10 ans en moyenne.
Ce retard diagnostique est dû à l’erreur des cliniciens qui ne font pas la différence entre dépression bipolaire et dépression unipolaire ; mais il y a aussi les erreurs diagnostiques avec la schizophrénie, lourdes de conséquences notamment chez les jeunes ».
Existe-t-il d’autres indices de bipolarité ?
« Dans une dépression bipolaire, on retrouve souvent une hypersomnie, une hyperphagie avec une appétence pour les sucres et la prise de poids, un ralentissement moteur marqué et l’insensibilité à toute forme de réassurance, le caractère saisonnier des accès (automne, printemps…), mais également la variation de l’humeur au cours de la journée, l’état du déprimé bipolaire est plus sévère le matin avec une grande difficulté à se mettre en route, il s’améliore en fin de journée.
Le retentissement sur les fonctions cognitives est un indice de bipolarité surtout la réduction de la concentration.
La réponse au traitement antidépresseur est un indice de bipolarité très évocateur. En effet, l’absence d’amélioration de la dépression sous anti-dépresseurs ou, au contraire, une réponse spectaculaire à ces médicaments avec un passage rapide de la tristesse à l’euphorie, doivent alerter le clinicien ».
Les orientations thérapeutiques
« Il faut savoir que les accès dépressifs et maniaques durent de 6 à 8 mois pour se résoudre spontanément par la suite. Mais il faut intervenir précocement pour contrer les risques suicidaires et les conduites dangereuses et à risque en cas d’excitation.
Pour le trouble bipolaire et particulièrement la dépression bipolaire, le traitement anti-dépresseur n’est pas efficace et peut même aggraver la maladie. Le traitement du trouble bipolaire est médicamenteux, il repose sur les régulateurs de la l’humeur et les anti-psychotiques de dernière génération.
La psychoéducation du patient est incontournable. Elle permet d’apprendre au patient à connaître sa maladie à et à savoir la gérer. Une hygiène de vie est indispensable : sommeil régulier, sport, pas de conduites addictives, gestion du stress etc…
La psychoéducation concerne également la famille dont le rôle est essentiel dans la prise en charge du patient bipolaire ».
Le mot de la fin
« Le trouble bipolaire quand il n’est pas reconnu et traité a des conséquences délétères sur les études, le travail, les relations sociales, la vie de couple, les activités du quotidien et sur la qualité de la vie en général.
Les répercussions sur le plan économique ne sont pas négligeables, avec un surcoût en dépenses de santé directes et indirectes (congés de maladie, invalidité…).
Aussi, devant toute dépression, il faut rechercher avec beaucoup de soin les indices de bipolarité et adopter les stratégies thérapeutiques appropriées ».
Docteur Raja Labbane,
chef de service de psychiatrie à l’hôpital Razi
B.A