« Pour l’amélioration de la mortalité infantile, la réanimation néonatale est la carte gagnante »

« C’est grâce à la naissance prématurée de Patrick Bouvier Kennedy, fils de John Fitzgerald et de Jackie Kennedy et, malheureusement à son décès 2 jours après que l’une des complications les plus redoutées de la prématurité a pu être traitée aujourd’hui.

En effet, notre principale hantise devant tout prématuré dès sa naissance est la détresse respiratoire, rapporte Pr Kamel Monastiri, chef de service de Réanimation et de Médecine Néonatale au Centre de Maternité et de Néonatologie de Monastir,. Aussi bien pour les grands prématurés que les proche du terme. Leurs grandes fonctions dont la respiration sont encore immatures. Cette immaturité pulmonaire a pour cause essentielle un déficit en surfactant responsable de la maladie des membranes hyalines et dont la fréquence est inversement proportionnelle à l’âge de gestation du bébé. Le surfactant étant une substance protido-lipidique qui tapisse les alvéoles et qui permet de créer une tension de surface pour qu’il n’y ait pas de collapsus alvéolaire. En effet, si les alvéoles se collabent, la fonction respiratoire du bébé est gravement compromise. Du surfactant exogène est disponible dans les Centres de Réanimation néonatale, son administration à travers une sonde trachéale permet de réduire les besoins ventilatoires et a bouleversé le pronostic fâcheux de la prématurité. La réanimation à la naissance, doit maintenir de façon concomittante une température ambiante adéquate permettant à ce bébé d’assurer sa thermorégulation, autrement il passera rapidement en hypothermie ce qui peut aggraver les défaillances organiques associées

Les troubles métaboliques et particulièrement l’hypoglycémie doivent être traités sans délais. En effet, les réserves glycogéniques du nouveau-né sont faibles et ses neurones sont vulnérables à toute privation en glucose.

En pratique, toutes les urgences doivent être traitées simultanément, une fois celles-ci prise en charge, les premiers soins du prématuré sont globalement les mêmes que ceux d’un bébé normal (aspiration, nettoyage, vérification des malformations…). Le prématuré sera placé dans une couveuse pour être transféré vers un service de néonatologie où la suite de réanimation doit être appropriée aux besoins (intubation, ventilation, alimentation, mise en place de cathéter…) ».

La réanimation néonatale

« Le séjour du prématuré en réanimation nécessite un travail d’équipe assurant les soins, la surveillance, les gestes diagnostiques et thérapeutiques dans un milieu hautement appareillé.

Assurer l’équilibre thermique du nouveau-né prématuré est une obligation permettant aux soins de réanimation d’être conduits dans les meilleures conditions et avec le minimum de dépenses énergétiques pour le prématuré. Les moyens utilisés varient en fonction du matériel disponible (couveuse, plaque chauffante, sac plastique, bonnet,..), au cas où la maman est disponible, l’équipe médicale et paramédicale peut l’aider à accompagner son bébé pendant la phase d’élevage, elle pourrait le réchauffer en le mettant contre son corps, c’est la méthode Kangourou.

Dès les premières minutes de prise en charge, le médecin réanimateur respecte rigoureusement les protocoles de soins pour minimiser au maximum les complications type dysplasie broncho-pulmonaire, complications neurologiques, et neurosensorielles,..

Les besoins en oxygène doivent être surveillés en continue pour adapter la délivrance de ce gaz. C’est un impératif permettant d’éviter les complications de l’oxygénothérapie (oculaires et pulmonaires).

L’apnée est un signe qui doit être détecté rapidement pour ces nouveau-nés prématurés qui doivent être surveillés sous scope, le traitement est fonction de l’étiologie, l’immaturité est retenue en l’absence de toute cause.

La persistance du canal artériel (PCA) est une autre conséquence de la prématurité. Ce canal normalement ouvert en anténatal doit se fermer chez les bébés nés à terme. Chez les prématurés, au cas où il est vicariant il doit être fermé avec un traitement médicamenteux sinon c’est la fermeture par voie percutanée ou chirurgicale

Le prématuré est particulièrement exposé aux infections. En effet, il présente un système immunitaire immature alors qu’il doit subir des soins de réanimation invasifs. Les décisions de mise sous antibiotiques doivent être prises à temps car les infections chez les prématurés sont à caractère systémique et peuvent être fulminantes. Toute l’équipe aussi bien médicale que paramédicale doit être à l’affût de tout signe suspect afin d’entamer immédiatement le traitement, l’arrêt des antibiotiques dépend des résultats des examens biologiques et bactériologiques. Toutefois, un traitement par excès favoriserait les redoutables infections nosocomiales.

Une fois le nouveau-né prématuré est stabilisé sur les plans hémodynamiques et respiratoires, l’alimentation lactée est introduite progressivement pour éviter les problèmes de tolérance digestive. Le réflexe de succion-déglutition apparaît vers la 34ème SA. En l’absence de ce reflexe, le nouveau-né sera mis sous gavage gastrique continu ou discontinu avec du lait maternel de préférence.

L’anémie est très fréquente, les traitements sont disponibles et doivent être adaptés en fonction des cas.

La sortie de l’unité de réanimation est certes une étape importante venant à terme d’un séjour où les efforts respectifs de l’équipe médicale, paramédicale et de la famille se sont associés dans une lutte continue pour la vie. Toutefois, un suivi prolongé est important. En effet, les développements ultérieurs: staturo-pondéral, psychomoteur, cognitifs et social ainsi que les aptitudes scolaires adéquats, vont garantir une vie de qualité. Seule pouvant permettre d’oublier les péripéties de la prématurité et d’intégrer finalement ce futur adulte dans une société qui a tout fait pour préserver sa vie et lui faire surmonter toutes les difficultés. Parmi ces difficultés on peut citer l’hyperactivité qui peut être mal considérée en milieu scolaire. Dans cette situation l’intervention du médecin soignant peut être d’un grand apport pour sensibiliser l’entourage et proposer le traitement nécessaire.

La prise en charge des parents

« Il faut que les parents soient accompagnés aussi bien par l’équipe soignante que par un psychologue pour pouvoir surmonter les moments angoissants associés aux complications qui peuvent émailler l’évolution de leur bébé et qui mettent en jeu son pronostic fonctionnel ou vital.

La présence d’un psychologue dans un service de réanimation néonatale est obligatoire et non pas un luxe comme le pensent bon nombre de personnes. Ce psychologue intervient aussi bien en phase aiguë que pendant le suivi du nouveau-né prématuré, son apport est inestimable auprès de l’équipe soignante, laquelle subie une charge de travail importante nécessitant un engagement et un dévouement sans faille. Cette équipe doit être disponible pour accompagner les mamans angoissées qui ont du mal à s’investir dans la prise en charge de leurs nouveau-nés prématurés craignant pour leurs vies et leurs devenirs et devenant proies à des sentiments d’inquiétude, d’incertitude et de peurs. En effet, les parents peuvent participer au nursing et à aider le nouveau-né prématuré à établir un contact avec son entourage qui lui assure tendresse et réconfort. Les soins individualisés du développement ou méthode NIDCAP (Neonatal Individualized Developemental Care and Assessment Program) sont basés sur la réalisation de ce type de contact, elle améliore le pronostic à court et à long terme. En pratique, l’équipe soignante est souvent submergée par le travail. Le rôle du psychologue est crucial pour préparer les parents à être actifs et coopérants avec un personnel œuvrant à les impliquer dans une approche de mutuelle entraide. Cette relation consolide les liens de confiance et rassure les parents. Cet objectif une fois atteint peut alléger le travail de l’équipe soignante mais c’est le fruit d’une grande expérience.

Les services habilités à accueillir les prématurés

« Pour une prise en charge convenable du prématuré, une infrastructure adaptée à ses besoins est sans doute indispensable. Les prématurés pré-termes (34 -36 SA) ont un pronostic relativement favorable par rapport aux grands prématurés (28-33 SA) et aux très grands prématurés ou prématurrissimes (23-28 SA) qui nécessitent souvent des moyens de réanimation coûteux et des gestes invasifs lourds. Les risques de complications et de séquelles sont souvent inversement proportionnels au terme. Quant aux fœtus dont l’âge gestationnel est inférieur à 23 SA, ils ne sont pas viables.

Une prise en charge précoce adaptée aux consensus et aux besoins des nouveau-nés prématurés est un impératif quand il s’agit d’une extraction programmée imposant une naissance dans une structure spécialisée. C’est le cas de la prématurité induite, le mieux est que l’accouchement ait lieu dans une maternité niveau 2 ou 3. En revanche, c’est la prématurité spontanée qui pose réellement problème puisqu’on est confronté à l’obligation de transférer le bébé ex-utero (après l’accouchement). Un tel transfert est non dénué de risque; ce bébé encore instable au niveau de ses paramètres vitaux avec tout ce que ça implique comme conséquences sur son évolution immédiate et ultérieure. L’idéal est d’organiser le transfert du prématuré in utero (avant l’accouchement). Un travail en réseau entre les différents centres spécialisés doit permettre de relever le défi de placer chaque nouveau-né prématuré rapidement dans des conditions optimales partout où il est en Tunisie.

Si la naissance se passe dans un service de première ligne : pour les nouveau-nés qui pèsent plus de 2 kg, un terme supérieur à 34 SA et en l’absence de problèmes de santé, ils peuvent être gardés auprès de leurs mamans avec une assistance pour l’allaitement tout en veillant à prévenir l’hypothermie et l’hypoglycémie. Si le poids est inférieur à 2 Kg, un terme inférieur à 34 SA ou s’il y a des complications, ils doivent être transférés dans des services de référence. Dans tous les cas, les très grands prématurés (inférieur à 28 SA) doivent être hospitalisés dans des services de niveau 3.

Améliorer le transfert permettra de rapprocher les patients des régions défavorisées aux structures développées et aptes à recevoir ces bébés.

Les critères de sortie

« Pour rentrer chez eux, les bébés doivent avoir acquis le réflexe de la succion-déglutition, avoir atteint un poids de 1Kg600 pendant la saison chaude et de 1Kg800 pendant la saison froide. Par ailleurs, ils doivent être capables de réguler leur température avec une autonomie respiratoire et alimentaire. En plus de ces conditions, l’implication de la mère et son aptitude à assurer les soins et l’allaitement correctement représente un critère décisif.

En cas d’issue défavorable, le cadre médical se doit de communiquer au fur et à mesure l’évolution du bébé aux parents et d’expliquer les limites des moyens de réanimation même les plus performants. Contrairement aux pays occidentaux, en Tunisie, on ne pratique pas l’euthanasie.

Prématurité et prise en charge

La fréquence de la prématurité a nettement augmenté au cours des dernières années notamment avec le développement de la Procréation Médicalement Assistée (PMA). Une révision des critères de prise en charge par la CNAM doivent être élargis au nouveau-né prématuré qui jusque là est presque entièrement à la charge des hôpitaux, ou bien de sa famille s’il est hospitalisé dans une clinique privée.

La réanimation néonatale est une spécialité qui doit obéir à des normes et où la communauté scientifique internationale a bien établie les consensus des traitements comme le surfactant, la ventilation à haute fréquence et bien d’autres médicaments, leurs indications sont précises et ne peuvent être contournées. Pour améliorer la mortalité infantile, l’état tunisien a fait le choix de promouvoir la néonatologie, il faut donc assurer tous les soins imposés par les multiples morbidités pouvant s’associer à la prématurité et ce sans retard, ce qui implique l’importance de disposer régulièrement de tous les moyens thérapeutiques et des conditions optimales de travail. En couvrant les frais de séjour des prématurés au terme de leurs hospitalisations, la CNAM adhère ainsi aux objectifs politiques qui visent la préservation de la fécondité, de la procréation et au delà de cela la salubrité des nouvelles générations.

Une réanimation néonatale correctement conduite avec les moyens financiers et humains requis peut réduire la mortalité infantile d’au moins de 70%.

Il faut dire que les nouveau-nés prématurés qui nécessitent le plus de moyens sont ceux de moins de 33 SA et encore plus de moins de 28 SA dont les survies respectives dans notre centre sont de 80% et de 30%. Les responsables de la CNAM doivent considérer le nouveau-né prématuré comme faisant partie d’une entité qu’est la famille et non comme un individu à part, en effet en allégeant le fardeau des dépenses de cette famille, elle réconforte la situation de celle-ci afin qu’elle puisse assurer son devoir envers cet être vulnérable. Le droit à la couverture sociale ne doit pas être refusé aux prématurés sous prétexte d’arguments statistiques étant donné que ceux-ci ont été réalisées dans des conditions techniques et humaines très contraignantes et pouvant nettement être améliorés si la CNAM s’associe au ministère de la santé dans ses efforts acharnés pour améliorer la mortalité infantile ».

B.A