Préparer, induire, surveiller, réveiller, gérer, prévenir…les dessous de l’anesthésie

Crise appendiculaire suspectée, diagnostic confirmé, bloc opératoire préparé. C’est la cascade classique devant toute appendicite mais il manque tout de même une phase capitale, voire incontournable, avant ce fameux coup de bistouri, c’est l’étape cruciale de l’anesthésie du patient. Pour les « quand, comment et quoi » de ce geste d’endormissement, rencontre avec Pr Mhamed Sami Mebazâa, chef de service d’anesthésie réanimation du Centre Hospitalo-Universitaire Mongi Slim

Comment prépare-t-on le patient à l’anesthésie ?

 « Dans la majorité des cas, les personnes qui se présentent avec une crise appendiculaire sont des patients jeunes et non tarés. Leur préparation est de courte durée et peu d’examens complémentaires sont demandés dans les formes classiques d’appendicite : groupe sanguin, numération formule sanguine pour rechercher une hyperleucocytose et un test de grossesse chez la femme en âge de procréer. Par contre, dans les formes plus compliquées, en cas de patient âgé ou ayants des antécédents cardiorespiratoires, une pathologie évolutive à équilibrer ou un traitement pour pathologie chronique à gérer sont à rechercher pour permettre une anesthésie dans de bonnes conditions. En général, la préparation du malade dure tout au plus 4 à 6 heures.

Comment anesthésier si le patient se présente avec un estomac plein ?

« Il faut tenir compte du fait que que l’irritation péritonéale secondaire à l’appendicite entraîne un retard à la vidange gastrique ; par conséquent, le patient est toujours considéré, de point de vue anesthésique, comme étant à estomac plein. Les nausées et vomissements qui accompagnent cette urgence abdominale majorent le risque d’inhalation au moment de l’induction anesthésique c’est pour cela qu’il faut, outre, la considération de l’état de vacuité de l’estomac, assurer le jeûne pré-opératoire, variable entre 2 à 6h, selon que la dernière prise alimentaire est liquide ou solide,  le jeûne étant écourté en cas de liquide. Par ailleurs et pour l’induction anesthésique, on utilise des drogues anesthésiques à court délai d’action pour permettre une intubation dans les meilleures conditions.

Si l’intervention est imminente, l’exemple type étant la péritonite avec état de choc septique, on prendra le plus de précautions possibles pour éviter les régurgitations et l’inhalation au moment de l’induction anesthésique.

Rappelons tout de même que le patient ayant une appendicite évolutive se présente rarement aux urgences avec un estomac plein puisque la symptomatologie digestive fort inconfortable qui accompagne le tableau clinique est à l’origine d’une anorexie évidente ».

En quoi consiste la technique anesthésique ?

« On procède par anesthésie générale avec une intubation orotrachéale, bien que dans la littérature, on trouve de rares publications, sous forme de case report, d’appendicites réalisées sous anesthésie péridurale. Il faut savoir qu’en cas d’appendicectomie, la gestion d’un cathéter de péridurale chez un patient ayant une infection évolutive est délicat et n’est pas sans conséquences. Ceci dit, la péridurale reste une alternative si on ne peut contrôler les voies aériennes, soit en cas d’intubation impossible ».

Quels sont donc les critères d’intubation difficile ?

« Grâce au score de Mallampati qui consiste en un examen simple de face, bouche ouverte et en fonction de la vision de la luette, les critères d’intubation peuvent être établis. Le rétrognatisme, l’obésité, le périmètre du cou et une mobilité modifiée du rachis cervical (antécédents de traumatisme du rachis cervical) sont considérés comme des critères d’intubation difficile. Par ailleurs, l’efficacité de la ventilation au masque peut être altérée dans certaines situations, en l’occurrence les patients barbus chez qui l’application du masque ne respecte pas les normes de l’étanchéité et n’est, par conséquent, pas efficiente ».

Quel peut être le retentissement hémodynamique et respiratoire de la cœlioscopie ?

« La cœlioscopie est le fait d’insuffler du gaz carbonique dans la cavité intra-abdominale. Cette insufflation peut entraîner deux types de conséquences : sur le plan hémodynamique, il y a une gêne au retour veineux à l’origine d’une diminution du débit cardiaque. Sur le plan respiratoire, outre l’insufflation de CO2 dans la cavité péritonéale, il y a une gêne à la mécanique du diaphragme,  donc un risque d’hypoventilation et d’hypercapnie. En général et comme mentionné plus haut, les patients pris en charge pour appendicectomie sont jeunes, sans antécédents pathologiques et qui supportent bien ces répercussions hémodynamiques et respiratoires. Il est également important de mentionner que la cœlioscopie permet une meilleure gestion de la douleur post-opératoire et entraîne moins de complications respiratoires notamment chez le patient obèse. La conversion (passage de la cœlioscopie à la vois classique) n’a aucun impact sur le déroulement de l’anesthésie ».

Peut-on parler d’anesthésie en ambulatoire ?

« En l’absence de problèmes ou de contraintes, les patients peuvent être libérés en fin de journée si l’intervention est pratiquée le matin. La gestion post-opératoire est simple puisque l’alimentation liquide est autorisée 4 à 5 h après l’intervention et la douleur post-opératoire est gérable par des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et des antalgiques par voie orale. Par contre, les patients qui vivent seuls et qui sont dans l’incapacité de manier leur traitement sont libérés à J1 post-opératoire. Globalement, ça dépend des conditions socio-économiques du malade »

L’antibioprophylaxie est-elle systématique ?

« L’antibioprophylaxie est systématique 30 mn avant l’induction de l’anesthésie, le but étant de diminuer la décharge bactérienne au moment de la manipulation de l’appendice. Si l’appendice est inflammatoire, on se limite à une injection pré-opératoire. On réinjecte au besoin (si l’intervention se prolonge) et en fonction de la demi-vie du médicament. En cas d’appendice phlegmoneux et de péritonites appendiculaires, l’antibiothérapie est prolongée entre 48 h et 5 jours, parfois et dans les protocoles les plus prolongés, cela peut aller jusqu’à 10 jours. Si la péritonite est localisée, 48 à 72h d’antibiothérapie sont suffisantes ; ceci qui obéit aux dernières recommandations des sociétés savantes. L’antibioprophylaxie consiste en l’association d’amoxicilline et d’acide clavulanique et l’antibiothérapie curative associe à ces des deux molécules précédentes, un aminoside ».

Comment gérer les douleurs post-opératoires et prévenir la maladie thromboembolique ?

« Pour les douleurs, on administre des antalgiques pallier 1 ou 2. Exceptionnellement, on peut associer de la morphine en cas de péritonite appendiculaire où la douleur est plus liée à l’inflammation de la cavité péritonéale qu’à l’incision elle-même. Assez souvent, on évite les AINS vu le contexte infectieux. Dès que les troubles du transit disparaissent, on peut prendre le relais par voie orale rapidement ; les antalgiques sont prescrits tant que la douleur persiste, mais d’habitude on dépasse rarement 72 h.

Pour ce qui est de la maladie thromboembolique et en dehors des risques liés au terrain (patient obèse, facteurs de risque de maladies thromboembolique), il n’y a pas lieu de prévenir. La déambulation, dans les heures qui suivent l’intervention, suffit amplement ».

Entretien conduit par E.K.L

 

Pr Mhamed Sami Mebazâa
Pr Mhamed Sami Mebazâa

Pr Mhamed Sami Mebazâa

Chef de service d’anesthésie réanimation

du Centre Hospitalo-Universitaire Mongi Slim